Un Conte de Noël : Saint Joseph et le prédicateur maudit. (1)

Stjoweb

chroniques de Buiss'ardent conte de Noël

D'après un conte du Moyen-âge.

Un Conte de Noël : Saint Joseph et le prédicateur maudit. (1)

 

Lors du combat d’Auray, en 1364, le bon comte Charles du Breuil était mort vaillamment aux côtés de Du Guesclin. Ce deuil fut bien amer parmi les paisibles bourgeois de sa ville natale et l’on mena grande doléance. Pour comble de malheur, une affreuse sécheresse avait détruit cette année-là toutes les récoltes et les bruits de guerre ne cessaient de courir : chacun serrait de son mieux les cordons de sa bourse et de cette défiance, de cette ladrerie, les bons Cordeliers de l’endroit étaient les premiers à souffrir.

 


Un Conte de Noël : Saint Joseph et le prédicateur maudit. (1)

Leur couvent, lors de sa fondation, n’avait été doté d’aucun bénéfice, et la mort du pieux comte, baptisé par eux, et éduqué dans la Foi par eux, les laissait sans bienfaiteur. Les bons moines ne devaient vivre que de la charité publique. Ils possédaient bien les superbes bâtisses, mais pas la moindre terre, de sorte que la tristesse générale qui renfermait tout le monde au logis leur causait un fort grand dommage. Personne ne donnait plus rien à la quête et les pauvres moines étaient bien près de mourir de faim.

 


Un Conte de Noël : Saint Joseph et le prédicateur maudit. (1)

Chaque jour, le frère quêteur avait beau parcourir les pentes abruptes et les longs escaliers de la cité, la besace sur l’épaule et la cloche à la main, nulle porte ne s’ouvrait à son passage, aucune bourse ne se déliait, et chaque jour aussi, la mine des moines affamés devenait plus hâve et plus anxieuse.

C’était l’heure qu’attendait le Démon pour tenter ces saintes gens, dont depuis si longtemps la ferveur et l’humilité lui portaient ombrage. Invisible, le tentateur errait dans les couloirs du cloître, entrait dans les cellules, tourmentant chaque moine en particulier, les incitant tous au désespoir, à la critique amère, au découragement. Et le Père Gardien, plus que tout autre, était livré à de sombres reflexions :

 "Tu vois bien qu’ils ne resteront pas…Ils ont faim. Et la bure de leur habit est toute élimée. Et toi-même, tu pourrais aller dans un autre couvent… "

 


Abusant de la grande bonté du Supérieur, le Démon jetait le trouble dans son âme en lui inspirant des sentiments de pitié à l’égard de ses frères et en le jetant dans l’inquiétude génératrice de doute. Un frère était rentré dans sa famille…tous partiraient aussi. Et c’était de sa faute…La Providence les abandonnait-elle ? le pauvre Père guardien s’efforcait de reprendre confiance, l’angoisse était plus forte que sa volonté et les vertus d’espérance et de foi semblaient le quitter. Interrogeant les Ecritures et méditant l’office du jour, il entendit Jésus demandant à Pierre de jeter les filets après avoir peiné toute la nuit en vain. Si Pierre avait pu être découragé, et ensuite ammener tant de poissons dans son filet, ne fallait-il pas tenter une suprême expérience ? Le père Guardien prit la résolution de jeter une dernière fois ses filets, et quand le frère quêteur se présenta devant lui, comme chaque matin, pour recevoir sa bénédiction avant de commencer sa tournée, il lui prit des mains sa pauvre besace et lui dit :

" Aujourd’hui, c’est moi qui remplirai votre charge, mon frère. Noël approche, et j’irai en pélerinage avec Saint Joseph et la Bonne Vierge attendant la naissance du Messie. Sur la route, je demanderai, avec leur aide, de pouvoir émouvoir les coeurs chrétiens de la ville. Allez dans le Choeur de notre église et priez pour moi."

 


Dans la cité, depuis l’Eglise des Cordeliers, dans le bas-bourg, jusqu’au haut-bourg et à la cathédrale, en passant par le rocher de Saint Michel, tout le monde connaissait la Père Gardien des Cordeliers. On admirait en lui le vaillant chevalier qui avait si fièrement combattu à Poitiers, pouvait appeler le Chevalier Du Guesclin son ami, et avait quitté les honneurs et les richesses d’une noble famille pour revêtir la bure. La vénération que l’on marquait au pieux moine n’en était que plus profonde.

Il était donc impossible que les coeurs ne fussent point émus à la vue de ce grand seigneur réduit, pour l’amour du Christ, à l’état de mendiant. Mais le démon semblait avoir rendu sourds tous les gens de la ville et avoir posé des écailles sur leurs yeux. Pas une porte ne s’ouvrit sur le passage du Père gardien dont les appels restèrent sans écho. Tout le jour, il marcha dans les rues enneigées sans prendre un instant de repos. Les maisons jadis les plus hospitalières restèrent closes et les maisons des riches retentissaient des préparatifs de Noël derrière leurs épaisses portes de bois et de fer forgé.

 


Et l’esprit du mal qui endurcissait ainsi les coeurs des fidèles murmurait aux oreilles du moine des paroles de découragement.

L’étrangeté de la situation et le trouble anormal où il se trouvait firent comprendre au saint homme que le Diable se mêlait de l’affaire. Pour conjurer le démon tentateur, il leva les yeux au ciel, implorant Dieu. Devant lui, le rocher massif de Saint Michel se dressait. Il gravit les marches et entra dans le sanctuaire. Devant l’autel, il jeta un cri de détresse et d’espérance vers le Tout-Puissant :

" La porte de votre demeure, ô mon Dieu, est la seule qui ne soit pas fermée pour moi !" dit-il. Et il tomba à genoux devant une fresque qui représentait les anges entourant Marie et Joseph se rendant à Betlhéem. On y voyait saint Joseph, tenant son bâton d’une main, et tirant l’âne sur lequel se tenait Marie enceinte. Les ailes élancées des séraphins frôlaient le manteau de la Vierge, et Saint Joseph regardait vers l’avant.

 


Un Conte de Noël : Saint Joseph et le prédicateur maudit. (1)

"- O Saint Joseph, murmura le bon moine, vous aussi vous avez connu des jours d’angoisse et des nuits sans sommeil. En souvenir de vos peines, avec compassion de la mienne, en l’approche de Noël, et puisque Dieu a eu pitié des tribulations de la Sainte Famille, dites-lui, Céleste Protecteur, qu’Il ait aussi pitié de la famille spirituelle du couvent dont j’ai la garde. Vous ne m’abandonnerez pas, pieux saint Joseph, et vous nous sauverez tous."

 

Et comme le Tentateur n’avait pas osé suivre sa victime jusque dans l’église, le Père gardien, après une longue prière, sortit réconforté. Mais le Diable, qui n’aime pas à perdre son temps, était retourné parmi les moines et, dans chaque cellule, il avait semé la plus grande perturbation.